Boom baby !
Dans un monde où tout passe désormais par l’écran, le Boom festival vous ramène à la chair et élève votre âme.

Certaines expériences ne peuvent être décrites. Les vaines tentatives d’en formuler la substance ne resteront qu’une pâle transcription des émotions qui vous font fondre, puis se dissolvent, ne laissant que l’abstraction du souvenir. Niché au cœur du Portugal dans une nature exceptionnelle, avec pour seul voisinage ces villages à la silhouette intemporelle, le Boom Festival est de cette catégorie d’événements, conçu pour vous emporter autant qu’il garde intact ses secrets aux volontaires qui feront le déplacement.
Pour m’extirper de la page blanche, l’algorithme de Spotify me vient en aide, alors que je pose les doigts sur mon clavier. En fond, le dernier album live de The Blaze. Comme un prophète connecté à mon esprit, le chanteur délivre ces mots qui viennent imbiber l’espace vierge et apaisé qu’est mon âme, au terme d’une expérience transformatrice.
“Imagine a place… where no one can stop dancing. The beat shakes everything. Everyone’s dancing. It was deep and sweet. Hardcore. I felt things I’ve never felt before. I closed my eyes and then everything slipped. My heart feels the beat and my soul feels the heat. And now I feel like a very special witness. Freeing myself, dancing to that craziness. I let myself melt into the crowd to dance. Next to everyone, and kissing trance.” (Pour écouter c’est ici)
Les expériences spirituelles se méritent. Comme une épreuve purgatoire savamment conçue, les courbes désertiques du centre du Portugal nous mènent vers des colonnes de poussière, et le serpent terreux digère un à un les milliers de véhicules et leurs occupants consentants. Naître sur les berges scintillantes du lac bordant le Boom festival est un accouchement. Les heures, et parfois les journées, sont longues.
Pour entrer au paradis, vous vous confronterez aux cerbères, derniers témoins de l’acte mercantile qui n’a laissé que 48 heures aux 40 000 fidèles et curieux pour obtenir le ticket d’or et de lumière, et rejoindre ses berges. Il est indispensable d’avoir anticipé et désiré votre participation à l’événement. Les gardiens du temple sont impassibles, au raccord d’un marché gris impossible. Si vous vous êtes décidés tardivement et que votre intention est pure, peut-être aurez-vous de la chance. Il est des chemins qui ne peuvent s’interrompre en route.
Lorsque vous foulez enfin le territoire du Boom, émerge cette sensation d’unité avec l’organisme vivant qu’est l’écosystème d’Idanha-a-Nova, baigné par le calme bienveillant du lac bordant le festival. Dès l’instant où vous délaissez la carcasse métallique de votre véhicule, et jusqu’à ce que vous le retrouviez enseveli de poussière, une semaine plus tard, votre âme et votre enveloppe charnelle ne se déferont jamais de cette unité organique, humaine, sauvage, naturelle. Le seul adieu que les milliers de festivaliers honorent chaque jour est celui au soleil, quand tous les cris du cœur, à l’unisson, remercient l’astre de cette énergie infinie qu’il nous offre pour tenir jusqu’au bout de la nuit.
We are One !







Crédits photo : @awtransform, Javiera Eguiguren, christophe renodeyn
“We Are One.” Ce message solennel, scandé à l’ouverture de l’immense Dance Temple, est une évidence. Le Boom est un organisme vivant. Les espaces, les lieux de vie, de chant, de danse, de lumière naissent de la jonction du lac et de la terre, comme autant de structures issues à la fois du naturel et du surnaturel. Ni béton ni ligne droite ne laissent croire que ce lieu est l’unique œuvre de l’homme. Le festival n’est que continuité et ramifications organiques. Des étoiles jusqu’aux toiles d’araignées qui habillent la végétation du lieu.
La structure du Boom est un ensemble d’ondes qui se répondent. Ainsi le son devient la matière première, le ciment, la voûte, un élément aussi palpable que le sable sous vos pieds, ou que les cordes qui tissent votre campement, jusqu’aux gigantesques temples du mouvement. Ce n’est pas l’ordre, mais le chaos qui rend ce lieu sacré. Le Boom ne cherche pas à organiser l’expérience, mais à la laisser advenir. L’imprévu devient rite, et la désorientation, une forme d’initiation.
Si vous découvrez le Boom Festival à travers ces lignes, voici ce qu’en dit Wikipédia : "Le Boom Festival est un festival transformationnel organisé tous les deux ans au Portugal. (Un festival transformationnel est un festival de contre-culture qui prône une éthique de développement communautaire et un système de valeurs qui célèbre la vie, la croissance personnelle, la responsabilité sociale, une vie saine et l'expression créative.) Fondé en 1997 en tant que festival de musique dédié en particulier à la trance psychédélique, le Boom a depuis évolué pour devenir un festival de culture alternative, rassemblant tout ce qui se fait de plus récent dans le domaine de l'image et du son psychédéliques, avec des ateliers d'art."
La décision de venir au Boom s’inscrit dans l’idée de nourrir sa vie par la transformation. Chaque crise ou remise en question se présente généralement avec une formule d’une banalité effrayante : remettre en question le chemin rectiligne de nos vies, goûter aux égratignures édulcorées du possible se dessinant sur le bas-côté. Est-on destiné, au terme de ces expériences salvatrices, à revenir sagement dans la voie tracée ? Notre séjour spirituel sur terre est un potentiel croissant, infini. Devant cet infini se tient la promesse du miracle : celui du meilleur en nous, au contact de votre famille, du plus proche individu jusqu’aux inconnus que sont ces êtres de lumière qui partagent votre bivouac éphémère. De ce point de vue, le Boom tient toutes ses promesses. Wikipédia peut graver dans le marbre de ses données l’étiquette de festival transformationnel.
Dans un monde où tout passe désormais par l’écran, le Boom vous ramène à la chair. Votre corps n’est plus un outil de performance, mais un instrument de perception. Chaque muscle dansant capte la vibration, chaque pas est une prière ou un espoir. L’illusion de l’ego nous limite dans la perception du tout. Il est évident, lorsque vous y goûtez à nouveau lors d’une expérience intense, que notre chair se nourrit de ce flow pur qu’est la vibration d’un groupe uni. Nos neurones tracent et empruntent des chemins oubliés et prennent la direction de ces ramifications invisibles qui nous appellent à nous unir au vivant.
Je ne suis pas fou. Je les ai vues de mes propres yeux, ces ondes infinies qui nous traversent et infusent en nous un peu de tous les êtres présents. Je l’ai vue, cette déflagration de plaisir, battement du sound system épidermique qui nous irrigue et nous purifiera environ trois millions de fois pendant la durée du festival. Je l’ai aperçue aussi, pour la première fois, la toile colorée du son que dessine un didgeridoo offert aux corps qui ondulent à son contact.
De la méditation au spasme de la Funky Beach, du tantra aux infusions alchimiques, des concerts improvisés à l’ombre des tipis aux cérémonies chamaniques au bord de l’eau, des ateliers de peinture collective aux séances de yoga au lever du soleil… vous renaissez et recomposez votre être au son de votre inconscient bienfaiteur. Rien n’est laissé au hasard. Même ce qui semble spontané est le fruit d’une intention. Le design des scènes, les espaces d’ombre, la manière dont l’eau est préservée et distribuée, tout est pensé pour s’oublier et ne plus craindre la morsure du mental. Le Boom est une architecture de la confiance où l’on y danse les yeux fermés.
We are one. Certains préceptes peuvent sonner creux quand l’intention n’est pas portée par une conviction et une honnêteté sans faille. Il faut être débarrassé de simples intentions mercantiles pour que cette incantation ne s’effrite pas comme un château de sable sous le soleil brûlant de nos désirs futiles. Au Boom, cette évidence est portée, brassée et infusée dans le cœur des participants par le flot des contrastes qui nous traversent de part en part. Même si l’énergie du festival est portée par une foule de jeunes adultes jusqu’à la force de l’âge, au pic de leur joie de vivre, vous croiserez aussi enfants et vieux sages, convaincus par des années d’expérience, qui brillent encore dans leurs yeux pétillants de curiosité. Chaque édition laisse une trace. Ce festival n’est pas une parenthèse, mais un chapitre. Il y a ceux qui viennent pour la première fois, hagards de beauté, et ceux qui reviennent, porteurs des mémoires passées. Un grand récit se tisse, année après année. Et chacun, par sa simple présence, y inscrit une ligne.
La rudesse, la pureté et la simplicité du paysage vibrant sous les 35 degrés du centre du Portugal, gorgé par les rives rafraîchissantes du lac qui traverse le festival de part en part, laissera place chaque soir au jardin de couleurs des longues nuits fraîches mais brûlantes de bonheur d’un monde psychédélique. Dans ce désordre vivant mais porté par la même énergie palpable, le peuple dansant devient une seule matière homogène.
À 15 h, au fond de votre hamac, au son d’une cithare doublée par les cigales, ou à 3 h du matin dans le ventre technoïde de l’Alchemy Stage, tout ne sera que bienveillance autour de vous. Ici et là, vous pourrez vous abandonner, vous et vos quelques bibelots de fête. Chaque geste, chaque regard, chaque intention, est doublé d’une attention particulière, comme pour vous inciter à vous perdre et vous laisser aller dans cette bulle hors du temps.
We are one. Comme décrire le Boom, cette idée est une utopie. Portée par les plus grands poètes, elle nous fait frissonner autant qu’échouer lamentablement au fond de notre mental perverti par nos réalités de survivants d’un monde qui n’a globalisé que les outils de l’individualisme. L’union. Pour en faire une réalité, il ne sert à rien de la décrire dans un article de blog ou de la rêver en lisant ses contours abstraits aux déformations multicolores. Il faut la vivre. La vivre intensément, s’y perdre sans préjugé, sans crainte, sans attente. Le Boom fait exploser vos peurs et reconstruit votre cœur. Il vous relâche au monde plus léger, empli d’amour.
Luna, Thomas, Melou, Thibault, Bryan, Willy, Joël, Léa, we were one.